« La vie ne m’apporte plus grand-chose. J’ai tout connu, tout vu. Mais, surtout, je hais cette époque, je la vomis » Alain Delon
Par Arnaud Guyot-Jeannin
Lettre d’un ami sincère et admiratif à Alain Delon
Je viens de recevoir vos Mémoires. Votre préface indique bien la dette que vous avez contractée avec les plus grands metteurs en scène qui vous ont engagé dans leurs films naguère : « Comme je l’ai déjà dit par le passé, s’il y a une chose dont je suis fier, c’est de ma carrière. On ne fait pas carrière tout seul, et la mienne n’aurait pas existé sans les rencontres avec les grands cinéastes qui m’ont formé et sublimé : René Clément, Luchino Visconti, Michelangelo Antonioni, Jean-Pierre Melville, Joseph Losey… Ce livre est aussi une manière de leur rendre hommage, car il met en évidence les qualités exceptionnelles de leurs œuvres. » Je me permets d’y ajouter le prénom et nom de Valerio Zurlini, dont Le Professeur demeure un chef-d’œuvre absolu. Vous citez rarement ce film, alors même que son personnage principal, Daniel Dominici, est celui qui non seulement vous ressemble le plus – comme vous avez pu le déclarer par le passé -, mais aussi s’éloigne tant de ceux figurant dans votre filmographie. Peut-être que votre mésentente avec Zurlini sur le tournage vous a laissé un goût amer dans la bouche ? Reste que ce film nocturne et crépusculaire s’avère bouleversant dans son humanité même !
Il me semble, dans une moindre mesure, qu’il faut compléter la liste de ces metteurs en scène par le fidèle Jacques Deray. Vous avez tourné neuf films avec lui. Et, notamment, l’inoubliable Piscine, avec votre bien-aimée Romy et votre ami Maurice Ronet, que vous tuez, une fois de plus, à l’écran. Le brillant Plein Soleil, de Clément, tourné dix ans avant, anticipe, à certains égards, La Piscine.
Les très nombreuses photos publiées dans ce livre-album sont toutes plus belles les unes que les autres. Vous m’avez téléphoné un jour en plaisantant, alors que j’avais fait votre éloge sur un mode épistolaire : « […]. Dites-moi, Arnaud, heureusement que je sais que vous êtes contre le mariage gay… » Je me rappelle vous avoir répondu : « On peut aimer un homme, un acteur, sans être homo. » Alors, vous êtes redevenu sérieux et plus grave : « Oui, comme moi avec Gabin. » Toute l’ambiguïté, toute l’ambivalence delonienne se trouvent dans cet échange un peu codifié.
Vos secrets vous appartiennent à vous, et à vous seul. Néanmoins, je suis fier d’en partager l’un d’entre eux, basé sur la confiance. Il n’est pas sans rapport avec votre pygmalion, votre « frère » Jean Cau ! Vous m’avez dit que vous emportiez toujours une photo de ce dernier dans vos bagages, lorsque vous partiez en voyage. Que dirait-il du monde d’aujourd’hui, lui qui a déjà si bien flingué celui qu’il a connu de son vivant ? Quand vous avez proclamé, il y a cinq ans, « La vie ne m’apporte plus grand-chose. J’ai tout connu, tout vu. Mais, surtout, je hais cette époque, je la vomis », je crois lire Jean Cau dans son livre Discours de la décadence. Un homme de droite décomplexé ne peut pas ne pas faire le même constat pessimiste que vous : « Il n’y a plus de respect, plus de parole donnée. Il n’y a que l’argent qui compte. On entend parler de crimes à longueur de journée. Je sais que je quitterai ce monde sans regret. » En dépit de la réalité terrestre, Alain, il faut espérer ! Votre amour pour la Vierge Marie ne peut que vous y encourager. Elle veille sur vous…
Vous êtes l’une des plus grandes stars françaises et même internationales, et pourtant, vous ne faites pas l’unanimité. C’est un vrai paradoxe. Vous êtes clivant. Et vous aimez cela ; c’est le prix de votre indépendance d’esprit et de votre liberté de ton. Personne ne peut vous l’enlever.
Quant à moi, je ne pourrai jamais effacer de ma mémoire les traces que m’ont laissées Jeff Costello (Le Samouraï), Roger Sartet (Le Clan des Siciliens), Daniel Dominici, donc (Le Professeur), Gino Strabliggi (Deux hommes dans la ville), Tony Arzenta (Les Grands Fusils) ou Jacques Darnay (Le Battant), etc. Et j’entends résonner, à l’instant, dans ma tête, la musique entraînante de Christian Dorisse, supervisée par Michel Colombier !
Denitza Bantcheva évoque très bien vos personnages, dans ces Mémoires, vos Mémoires.
Ils sont ceux d’un homme à la fois entier et paradoxal, sans jamais être double. Unique et multiple. Toujours résolu ! Un homme qui aime citer votre ami défunt Pascal Jardin à votre propos : « […] Tous les personnages qui cohabitent en lui s’entendent mal entre eux. D’où les abrupts sanglants, des passages imprévisibles de la colère à la tendresse. » Oui, c’est cela, je crois, la fêlure delonienne ! Celle qui renvoie à ses fameuses « larmes de la petite enfance » auxquelles vous avez fait allusion, quelquefois, pour qu’on vous comprenne mieux. Après avoir été tant attaqué durant votre vie, tant admiré aussi, vous avez pris encore le risque de vous dévoiler avec vos faiblesses. C’est cela, la force. Borsalino !
NDLR : Alain Delon. Amours et mémoires, préface d’Alain Delon, Denitza Bantcheva et Liliana Rosca, Éditions de la Martinière

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